Porte à porte (janvier 2017)

Bien sûr, il y a les portes restées closes : les absents, ceux qui n’entendent pas (la télé crie), ceux qui ne daignent pas entendre (la télé crie aussi), ceux qui sont à l’évidence occupés à d’autres choses, des impératifs qui ne se discutent pas (un enfant pleure).
Derrière certaines portes, une personne parle pour dire qu’elle ne veut pas parler. Pourtant, elle a fait le long chemin vers la porte : un pas lent, un objet qui tombe et une voix teintée par l’âge. Bien sûr, il ne faut pas ouvrir à n’importe qui.
A l’inverse, cet homme ouvre sans hésitation. Cheveux grisonnant, survêtement, chaine autour du cou, regard perçant au-dessus des lunettes qui semble dire “Je vous écoute”. Mais en quelques secondes, il se ravise, il a compris et la voix tremble en soufflant cette dernière phrase sur une porte qui se referme à la hâte : “Non, moi, ça, non, je ne vote plus !!!” Ce tremblement, pas de doute, c’est de la colère. Celle de la déception sans doute. Comment en est-on arrivé là ? On le sait bien en fait… mais c’est chaque fois douloureux à entendre.
A l’étage du dessous, nous voici devant une porte où, entre autres décorations colorées, sont affichés le regard de Wolinski, celui de Cabu, celui de Tignous. Bruits de clé et ils laissent place au regard vif d’une femme de 72 ans. Elle viendrait bien avec nous pour continuer à se battre mais les problèmes de santé sont trop lourds. Alors elle fait ce qu’elle appelle du militantisme artisanal : elle cause aux voisins. Bah, vous savez, nous aussi, nous sommes des branquignoles du militantisme : même plus de programme à vendre dans nos sac en bazar.
Un peu plus tard, un jeune homme qui n’y croit plus. Si jeune ? Bon, bon, d’accord, il va y réfléchir. En aura-t-il la force ? Il bosse 10h par jour dans une miroiterie.

Et puis, le gars du 6ème. Sa voix est calme, douce et imperceptiblement souriante. Il va voter pour Mélenchon, c’est sûr. Il se demande comment convaincre autour de lui et prend une liasse de tracts pour les distribuer aux collègues. Ses collègues ? Il est conducteur de métro. Il bosse sur la 6 : une vraie chance, c’est une ligne aérienne. Il évoque rapidement sa lutte contre les caméras dans la cabine. Gagnée : pas de caméra et toujours le cerclo. Le cerclo ? La “veille de l’homme mort”, un petit bitogno qu’il faut manipuler toutes les deux secondes pour prouver à la machine que l’on est bien en vie. Sinon quoi ? Elle s’arrête. Cela évite d’aller dans le mur.

C’est un peu ça le porte à porte, un cerclo humain : à chaque échange, on essaye de vérifier cette fausse évidence, celle que nous sommes toujours vivants. Sinon quoi ? On s’arrête et on ne fait rien pour éviter d’aller dans le mur ?