C’est une vieille femme. Je ne la connais pas.
Elle parle une langue que je comprends mal ; je n’aurais pas pu écouter ses confidences.
Je ne la connais pas. Et pourtant.
J’ai vu dans son regard adamantin une force tranquille, une vivacité d’esprit.
J’ai aperçu, saillant ses bras menus, les muscles d’une vie de labeur. Elle avait les gestes précis d’une couturière. J’ai goûté sa soupe noire. Elle savait faire avec les moyens du bord sans trop se soucier de raffinement culinaire.
Au ton détaché de sa voix, s’entendait l’ironie tendre des gens qui ont vécu. Je n’étais pas chez elle depuis 2h qu’elle se moquait de mon empressement à vouloir l’aider et m’indiquait d’un clin d’oeil que son mari, lui, ne l’aidait pas.
Parfois, ses prunelles se figeaient, traversées par une lueur de mélancolie sitôt chassée par les tâches à faire, la famille qui débarque, le voisin qui demande un coup de main.
Son sourire des yeux disait une bienveillance sans excès, un respect de l’autre, une humanité. Elle m’a appris des mots d’espagnol en détachant les syllabes avec la patience d’une institutrice. Elle a mis dans mon sac de quoi boire et manger sans que je m’en aperçoive.
Elle a tourné les talons sitôt après m’avoir dit adieu en me pressant la main comme on rassure un enfant. Elle savait transmettre leur chaleur sans laisser déborder les sentiments.
Son regard d’aigle bleu a accompagné tout le reste de mon voyage.
Je ne la connais pas. Et pourtant.
Pourtant, si j’apprenais sa mort demain, je pleurerais Elsa.