Le sourire des fillettes

Le sourire, c’est un peu comme la pomme ou le zizi de la chanson, il y en a de toutes les sortes.

Passons sur le timide, l’enjôleur, le forcé, le triste et beaucoup d’autres.

Arrêtons-nous un instant sur le plus beau : celui qui vient de l’intérieur, qui a le pouvoir de réconforter, de guérir, d’égayer, celui qui donne un parfum suave à la vie, celui de la joie. Celui-là, ne pas y renoncer. Jamais.

Attardons-nous sur celui que l’on impose aux lèvres des fillettes dès leur plus jeune âge. C’est le sourire de l’enfant polie et avenante, de la femme aimable et séduisante.

La petite fille l’adopte comme une règle parmi d’autres et s’imagine bientôt qu’il lui faut s’en parer pour ne pas être rejetée. Elle grandit et en fait un outil de survie qui lui permet de tromper son monde. On s’émerveille de cette enfant si souriante.

A l’adolescence, il est toujours là, collé, masquant les affres propres à son âge. On vante son beau sourire.

Adulte, elle le porte comme un habit de tous les jours qui l’autorise à évoluer dans le monde. On admire sa grâce souriante.

Elle aurait pu finir par croire qu’il faisait partie d’elle.

Mais, sous ce vernis opaque, souvent bouillonnent l’indignation, la douleur, le chagrin.

Alors, quand, enfin seule, la fillette devenue femme, dépose son sourire comme un dentier sur la table de nuit, le magma des émotions contenues glisse sur tout son être.

Au matin, vite remettre de l’ordre pour oublier les combats de la nuit, vite poursuivre une vie qu’on lui décrit heureuse. Elle remet son sourire pour sortir de chez elle. Elle se sentirait nue sinon.

Les années passant, les sentiments enfouis créent des fêlures dans l’attitude gracieusement dessinée du visage souriant. De petites rides s’installent. Le sourire n’a plus la même innocence.

Alors, un jour, en se regardant dans la glace peut-être, elle comprend qu’il lui faut l’arracher. Elle en souffre, elle en crie, elle croit être perdue. Cela prend des mois, des années. Un immense pansement qu’il est impossible d’ôter d’un coup sec. Au début, elle le remet pour faire face à des situations qu’il lui serait impossible d’affronter sans ce puissant anesthésiant de l’âme. Mais il n’est plus collé, ne marche plus si bien. Elle finit par y renoncer complètement.

Dès lors, leur regard sur elle change. Tu as changé, lui dit-on comme un reproche. Tu ne vas pas bien, s’inquiète-t-on parfois.

Oh mais, si, elle va bien, tellement mieux.

Non, elle n’a pas changé. Elle est simplement devenue elle-même.

Elle est libre désormais. Libre de sourire. Ou pas.

La féminité, un art de la servilité

“Une étude publiée il y a cinq ans l’exprimait parfaitement. On faisait passer à des petits garçons et des petites filles de 5-6 ans un faux casting pour une pub de yaourt. Et sans leur dire, on avait salé le yaourt. Les petits garçons, sans exception, font beurk devant la caméra, car le yaourt est infect. Les petites filles, elles, font semblant de l’aimer. Elles ont compris qu’il faut d’abord penser à celui qui les regarde et lui faire plaisir. Eh bien c’est exactement cela la féminité : ne sois pas spontanée, pense à l’autre avant de penser à toi, avale et souris. Tout est dit.

(…) je ne vais pas expliquer à des femmes qui se sentent bien dans ce cadre qu’elles doivent en sortir. Mais franchement, quand je vois ce qu’on exige des femmes, le carcan de règles et de tenues qu’on leur impose, leur slalom périlleux sur le désir des mecs et la date de péremption qu’elles se prennent dans la gueule à 40 ans, je me dis que cette histoire de féminité, c’est de l’arnaque et de la putasserie. Ni plus ni moins qu’un art de la servilité.”

DESPENTES Virginie, Le Monde, 9 juillet 2017