De l’art d’éplucher une pomme de terre

Au détour d’un couloir, on se surprend à écouter une collègue qui va mal et semble souffrir de ses journées trop remplies. Surpris par cette soudaine confidence, on essaye de l’apaiser et de lui dispenser un joli conseil imagé avec lequel elle repartira sereine et confiante.

On évoque ainsi les différentes façons d’éplucher une pomme de terre.

Le plus rapidement possible ? Au risque de s’énerver sur l’épluche-légumes injustement accusé d’inefficacité….
En faisant réciter sa leçon à l’aîné ? Au risque de mettre quelques épluchures sur le cahier soigneusement présenté…
En causant à son chef au téléphone ? Téléphone qui peut finir dans l’évier… (soit dit en passant une bonne façon de se débarrasser tout à la fois du chef et du portable).

Non, non ! Décidément, il n’y a qu’une seule manière de faire ! Laisser sa pensée divaguer et s’interroger sur la seule chose importante : mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire avec cette grosse pomme de terre ?

Alors la collègue à laquelle on a parlé en ces termes fait un large sourire et s’empresse de vous quitter. Désolée, il se fait tard. Les magasins vont fermer. Et il lui faut acheter, pour le dîner du soir, un paquet de frites congelées.

Une politique à l’encontre du devoir

« Je ne suis pas de ceux qui croient qu’on supprimer la souffrance en ce monde […] ; mais je suis de ceux qui pensent et affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas accompli. »

HUGO Victor, Discours à l’Assemblée du 9 juillet 1849.

Pourquoi mes voisins n’aiment pas les insoumis ? (mars 2017)

Dotés de que l’on appelle “un capital social et culturel élevé”, ils me répètent les absurdités que l’on entend ou lit un peu partout. Ce sont mes voisins, mes amis, des parents… Je ne cesse de m’étonner…

Et puis je retombe sur un article et j’y lis ce qui peut être un début de réponse :
« Le travail sur la manipulation médiatique ou la fabrique du consentement fait par Edward Herman et moi n’aborde pas la question des effets des médias sur le public. C’est un sujet compliqué, mais les quelques recherches en profondeur menées sur ce thème suggèrent que, en réalité, l’influence des médias est plus importante sur la fraction de la population la plus éduquée. La masse de l’opinion publique paraît, elle, moins tributaire du discours des médias. »
CHOMSKY Noam, Le lavage de cerveaux en liberté, Le Monde diplomatique, avril 2007

Porte à porte (janvier 2017)

Bien sûr, il y a les portes restées closes : les absents, ceux qui n’entendent pas (la télé crie), ceux qui ne daignent pas entendre (la télé crie aussi), ceux qui sont à l’évidence occupés à d’autres choses, des impératifs qui ne se discutent pas (un enfant pleure).
Derrière certaines portes, une personne parle pour dire qu’elle ne veut pas parler. Pourtant, elle a fait le long chemin vers la porte : un pas lent, un objet qui tombe et une voix teintée par l’âge. Bien sûr, il ne faut pas ouvrir à n’importe qui.
A l’inverse, cet homme ouvre sans hésitation. Cheveux grisonnant, survêtement, chaine autour du cou, regard perçant au-dessus des lunettes qui semble dire “Je vous écoute”. Mais en quelques secondes, il se ravise, il a compris et la voix tremble en soufflant cette dernière phrase sur une porte qui se referme à la hâte : “Non, moi, ça, non, je ne vote plus !!!” Ce tremblement, pas de doute, c’est de la colère. Celle de la déception sans doute. Comment en est-on arrivé là ? On le sait bien en fait… mais c’est chaque fois douloureux à entendre.
A l’étage du dessous, nous voici devant une porte où, entre autres décorations colorées, sont affichés le regard de Wolinski, celui de Cabu, celui de Tignous. Bruits de clé et ils laissent place au regard vif d’une femme de 72 ans. Elle viendrait bien avec nous pour continuer à se battre mais les problèmes de santé sont trop lourds. Alors elle fait ce qu’elle appelle du militantisme artisanal : elle cause aux voisins. Bah, vous savez, nous aussi, nous sommes des branquignoles du militantisme : même plus de programme à vendre dans nos sac en bazar.
Un peu plus tard, un jeune homme qui n’y croit plus. Si jeune ? Bon, bon, d’accord, il va y réfléchir. En aura-t-il la force ? Il bosse 10h par jour dans une miroiterie.

Et puis, le gars du 6ème. Sa voix est calme, douce et imperceptiblement souriante. Il va voter pour Mélenchon, c’est sûr. Il se demande comment convaincre autour de lui et prend une liasse de tracts pour les distribuer aux collègues. Ses collègues ? Il est conducteur de métro. Il bosse sur la 6 : une vraie chance, c’est une ligne aérienne. Il évoque rapidement sa lutte contre les caméras dans la cabine. Gagnée : pas de caméra et toujours le cerclo. Le cerclo ? La “veille de l’homme mort”, un petit bitogno qu’il faut manipuler toutes les deux secondes pour prouver à la machine que l’on est bien en vie. Sinon quoi ? Elle s’arrête. Cela évite d’aller dans le mur.

C’est un peu ça le porte à porte, un cerclo humain : à chaque échange, on essaye de vérifier cette fausse évidence, celle que nous sommes toujours vivants. Sinon quoi ? On s’arrête et on ne fait rien pour éviter d’aller dans le mur ?

La féminité, un art de la servilité

“Une étude publiée il y a cinq ans l’exprimait parfaitement. On faisait passer à des petits garçons et des petites filles de 5-6 ans un faux casting pour une pub de yaourt. Et sans leur dire, on avait salé le yaourt. Les petits garçons, sans exception, font beurk devant la caméra, car le yaourt est infect. Les petites filles, elles, font semblant de l’aimer. Elles ont compris qu’il faut d’abord penser à celui qui les regarde et lui faire plaisir. Eh bien c’est exactement cela la féminité : ne sois pas spontanée, pense à l’autre avant de penser à toi, avale et souris. Tout est dit.

(…) je ne vais pas expliquer à des femmes qui se sentent bien dans ce cadre qu’elles doivent en sortir. Mais franchement, quand je vois ce qu’on exige des femmes, le carcan de règles et de tenues qu’on leur impose, leur slalom périlleux sur le désir des mecs et la date de péremption qu’elles se prennent dans la gueule à 40 ans, je me dis que cette histoire de féminité, c’est de l’arnaque et de la putasserie. Ni plus ni moins qu’un art de la servilité.”

DESPENTES Virginie, Le Monde, 9 juillet 2017

Décision du Conseil d’Etat, claire comme de l’eau de roche

Alors quand même, il y a une justice…

Mais on n’oubliera pas que le ministre de l’intérieur, par le biais du préfet (Fabien Sudry), a fait appel de la décision du tribunal administratif de Lille ayant ordonné des mesures d’aides aux réfugiés de Calais. On n’oubliera pas que ce gouvernement a fait appel d’une décision de justice exigeant que l’on donne de l’eau à des gens.

Pourquoi les scolies ? Que sont les scolies ?

Il aurait pu être question de lucioles, ces êtres luminescents, erratiques, insaisissables et résistants, chers à Pasolini… Mais c’eût été à la fois trop simple et prétentieux.
Les scolies sont des sortes de grandes guêpes. En termes savants, ce sont des hyménoptères, les plus grands de France. On peut lire qu’elles sont utiles à la pollinisation et pacifiques : dotées d’un dard, elles ne l’utilisent qu’en dernier recours pour leur propre défense.
Peut-être sommes-nous arrivés à une époque où diffuser une lumière intermittente ne suffit plus ou il faut, certes en dernier recours, savoir piquer, qui sait ?

Il aurait pu être question de miscellanées ou de fragments. Mais les miscellanées sont à jamais celles de Mircéa Eliade et les fragments ceux de Barthes. C’eût donc été présomptueux. Et puis ces deux mots ont l’inconvénient de ne pas être aussi des insectes.
Les scolies sont des remarques grammaticales, historiques ou critiques. Parfait ! Il s’agit bien de faire des remarques en passant, de confier des considérations diverses, de se laisser aller à des divagations sur le monde.

Il aurait pu être question de récits, de tentatives poétiques. Mais les scolies s’étaient déjà imposées.
Or, cela tombe bien, les scolies ou scholies sont de courts poèmes lyriques destinés à être chantés à la fin du banquet.
Du grec ancien « tordu » (le chant est sous-entendu), elles rencontrent une intention, celle donner à lire de brefs récits de vie et de courtes fictions qui resteront bancals mais qui, mis bout à bout, parviendront peut-être à faire voir le monde un peu de travers. Ce serait déjà ça.

Des divagations sur le monde, des récits du monde, un méli-mélo de textes aux accents politiques ou poétiques, voire les deux : ce sont un peu tout cela les scolies que l’on peut entendre humblement bourdonner ici.